Pas de vertes et pas de mûres.

Publié le par Sherwood

Voici que soudain je ressens le besoin de vous raconter plein de choses. Attention, vous allez bénéficier de deux articles, au moins (sous réserve d'internet), dans la semaine. Petits veinards tiens.

 

Ces articles traiteront chacun à leur manière d'un sujet que le grand public (id est : la plèbe banale) commence à appréhender, après moult efforts des autorités savantes : la biodiversité.

 

Et qui dit biodiversité dit pauvreté extrème, voire dénument, des grandes cités telles Paris, capitale du snobisme et des montres en avance, ville de l'étrangeté faite foule, ville merveilleuse et singulière. En effet, l'adage stipulant qu'à Paname il y a tout est faux dans le cas d'une denrée précise et précieuse.


Petite histoire, ou ma vie complètement même pas romancée.

Il y a quelques semaines, par un piston fabuleux, je me retrouvai en possession de quelques oeufs de phasme (si vous avez fait de la biologie à l'ancienne et que vous avez appris la distinction "espèces K et  espèces R* " vous conviendrez que "quelques" c'est beaucoup). Ces phasmes, Extatosoma tiaratum (allez regarder et constatez que ce sont des phasmes obèses), se nourrissent d'eucalyptus, parce qu'ils sont Australiens et que donc c'est comme pour les koalas (ha tiens mon raccourci ne vous plaît pas ?).
Mais en vivarium, on peut aussi leur donner des ronces.
Si vous trouvez le lien entre eucalyptus et ronces, si vous pouvez m'expliquer pourquoi la ronce peut substituer l'eucalyptus mais pas la framboise, je vous bénis. Toujours est-il qu'il leur faut des ronces.

Je ne pensai même pas à trouver un eucalyptus, car pour mon esprit citadin, l'eucalyptus c'est pas ce qui court les rues. Jusque là, direz-vous, j'avais bon. Alors je cherchai des ronces.

Vous savez, les ronces. Ces gros buissons tout hérissés là, qui fouettent les mollets le long des chemins, et qui se couvrent de délicieuses baies noires à la rentrée. Ces plantes qui courent partout dès qu'il se trouve de la terre nue, qui se propagent efficacement par stôlons et que les jardiniers n'aiment pas forcément. Des ronces quoi. Pour moi, des ronces, ça se trouve partout.

Sur cette hypothèse, j'attendais, confiante, que les oeufs éclosent. Tout en me disant que, même si dans un contexte urbain, il n'est pas vraiment envisageable de trouver des ronces dans la rue, tout de même, mes activités externes et officielles me conduisant à rencontrer des jardiniers dans les squares me permettraient sans doute de mettre la main sur ces tiges griffues.
A Paris, les squares c'est surtout pour faire jouer les enfants. Et les parents d'enfants n'aiment pas les ronces. Il n'y en a pas, de ronces, pas même dans un coin, non, rien.
Par contre il y a des eucalyptus. Des petits arbustes rachitiques plantés derrière des barrières, bien loin des arbres immenses et majestueux abritant des colonies de koalas qui boisaient mon imagination enfantine. Des machins que je n'osai guère cueillir.

Le temps passait.

Un jour, ô merveille, nous rencontrâmes un jardinier d'une sympathie monumentale. Un homme qui répondit "les gamins !" à la question "quelles sont pour vous les espèces nuisibles ?". Un homme qui aimait Tim Burton et dont le fils aimait les Fatals Picard. Un homme qui aimait les buissons piquants, parce que ça empêchait les mômes de piétiner ses plates bandes. Un homme à qui je demandai si, par hasard, il ne saurait pas où je pourrais trouver des ronces...
D'un point de vue extérieur : comment moi, gérontophile et amatrice de piquants, pouvais-je ne pas craquer devant cet homme m'offrant une brance de ronces, hein ? Voilà (arrête Hervé, t'as vu toi aussi tu aurais craqué). Parenthèse refermée sur le fait que les gens, bah des fois yen a des super chouettes. C'est dommage qu'il y ait tous ces déchets autour.
Résultat : j'avais des ronces.
Ironie du sort ou coup de bol normal vu mon statut de VIP du destin : le soir même, un premier phasme éclôt. Je pus le nourrir.


Mais voilà, le temps passa. Les ronces fânèrent, d'autres bébés éclorent puis moururent de faim. Et moi, désemparée, je cherchais des ronces dans mon environnement immédiat. Vous allez me dire qu'il fallait retourner voir le jardinier sympa. Certes. Mais il n'était pas dans mes trajets, et puis on ne va pas voir les gens juste pour leur quémander des plantes. Même des ronces. Surtout des ronces, vu la rareté que c'est ici !


Alors je lorgnais les plates-bandes, les pieds de platanes, les bords de Seine et les terrains vagues. Les parcs, les jardins, les squares et les jardineries ; les pots, balcons et arrières-cours ; les poubelles, bidonvilles et flaques dégoûts... Rien. Pas la moindre ronce à l'horizon.


Un état de la pauvreté parisienne est à faire. Je n'imaginais jamais, dans mon enfance, devoir un jour être désemparée par la pénurie roncière. Par jeu, lors de mes recherches d'épines, je regardais aussi si l'on voyait des orties, ces autres plantes irritantes qui poussent partout. J'en ai vu davantage, mais pas non plus énormément.
Tentant de contrarier la nature et cherchant à adapter mes petits Australiens affamés, je leur ai donné de tendres pousses de ce qui est omniprésent en ville : le tilleul. Ils ont fait la moue (ouais, en tant que blatte je peux déceler les moues chez les insectes). Et ma recherche de ronces n'en devenait que plus pressante.

C'est finalement dimanche que nous en trouvâmes. Joie, bonheur, exultation. Enfin !

SDC14829.JPG

Et non, c'est comme les champignons : je ne dévoilerai pas mon coin ! Chasse gardée, c'est trop précieux !
J'en pris assez pour les bouturer. Bouturer des ronces, ma parole ! Une chose que je n'aurais jamais pensé songer à faire !
Et puis d'ailleurs, ça ne fonctionne pas. Pas plus que le lierre. Oui, décidément, ces Parigots, il leur manque une case.

Le lendemain du dimanche fut donc en toute logique un lundi. J'étais au labo quand un thésard est entré, et m'a regardé d'un air dépité, montrant le tupperware qu'il avait en main en me disant : "Tu ne saurais pas où trouver des ronces ? Mes chenilles ont faim"

 

 

(photo : Lucien-le-phasme sur une feuille de roncesbien méritée)

 

*les premières misent sur la quantité de petits produits, sur le lot il y en aura bien un ou deux d'adultes, les secondes sur les soins parentaux aux rares jeunes, peu de petits mais tous deviendront adultes (terminologie soi-disant dépassée)

 

Publié dans Lutèce

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J
<br /> T'as combien de phasmounets maintenant? Joli jeu de mots ton titre :o)<br /> <br /> <br />
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S
<br /> <br /> Je viens d'en compter onze, mais en toute logique je devrais en avoir manqué un... D'ailleurs, si quelqu'un en veut...<br /> <br /> <br /> <br />
H
<br /> A Nogent-sur-Vernisson, tu aurais certainement trouvé des ronces. A poitiers, il y en a. Les parisiens (Pariser auf deutsch bedeutet Präservativ) en fait sont racistes envers les plantes.<br /> <br /> <br />
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